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"Je ne connais rien qui réponde au labeur ingrat de tourner et retourner des phrases et des mots pour éviter soit une consonance, soit une répétition". Eugène Delacroix.

 

Une (re)découverte pour ceux qui connaissent leur Eugène Delacroix (Charenton-Saint Maurice 1798 ou 7 Floréal de l'an VI - 1863 Paris) par cœur ou pensent le connaître. Même Michèle Hannoosh éditrice du Journal de Delacroix en 2009 (première édition en 1893) et Lee Johnson auteur du Catalogue raisonné de l'œuvre peint du peintre, ne disent rien de ces trois écrits de jeunesse du futur peintre. Une découverte comme le souligne Servane Dargnies dans la rigoureuse et pertinente postface de cet ouvrage réunissant les très courts textes de l'artiste. Si Alfred fut publié en 1952 et Les Dangers de la cour en 1960, ce n'était que confidentiellement, respectivement dans les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques et dans la Société des bibliophiles français. De Victoria, aucune publication.

 

Pourtant ces écrits du peintre étaient connus d'un cercle très restreint de bibliophiles, ces trois manuscrits apparaissant en 1951 dans le catalogue de vente de Bernard Lolié, libraire de la rue de Seine. Leur provenance était celle des héritiers d'Achille Piron, ami d'enfance d'Eugène. Ils furent acquis à l'époque par Jean Marchand grâce auquel la publication confidentielle des deux textes fut possible. Par le mécénat très généreux de Pierre et Nicole Guénant, ces trois manuscrits rejoignirent, en 2012, les collections du musée de la place Furstenberg.

 

Pour la première fois, ces trois textes sont publiés ensemble comme le précise Dominique de Font-Réaultx, révélant "combien la tentation de la littérature avait, pourtant été grande chez le jeune artiste".  L'analyse graphologique et stylistique des manuscrits, des mises au net destinées à la lecture ou à la relecture, permettent de dater Alfred et Victoria entre 1814 et 1816, Les Dangers de la cour dans les années 1816 - 1820.

 

Que ressent-on à la lecture des écrits de ce jeune homme, orphelin de son père Charles à l'âge de 7 ans, de sa mère Victoire à l'âge de 16 ans - Victoire comme Victoria la protagoniste de la seconde nouvelle et pupille d'Ariosto - ? L'intime de ce garçon à la jeunesse brisée par la mort de ses parents, la fin d'une enfance heureuse, l'absence si prégnante de la mère puisque les trois protagonistes de ses écrits sont également orphelins de mère, la solitude, la tristesse, les amours naissantes. Comme un autre Chateaubriand dans sa jeunesse bretonne.

 

L'influence de ses lectures, celle du roman gothique anglais, de Jean-Jacques Rousseau et de la nature, de Shakespeare est très présente. Dans ses textes transparaissent un vent de liberté, une dénonciation de son temps et de la césure des classes sociales, la vertu triomphante, la morgue de la noblesse et des intrigues de la cour, la vilenie des "grands", le goût de la justice et de la morale, l'influence des ruines "gothiques", le goût de la nature sauvage et des espaces..

Trois textes sur la critique acerbe du monde de la cour, les tourments d'Alfred tuant... (je n'en dis pas plus pour ne pas dévoiler l'étonnante chute, source d'effroi et de glaciation du sang) et l'empoisonnement bien mérité du méchant barbon souhaitant capter et le cœur.. et la fortune, si ce n'est l'inverse, de sa pupille.

 

Une écriture ciselée, simple, limpide, l'emploi du mot juste, Et le plaisir d'y lire l'imparfait du subjonctif dans Les Dangers de la cour. Un adolescent de 16 ans qui en remontrerait largement à certains écrivains actuels. C'est net et précis.

 

Delacroix, élève dans l'atelier de Pierre-Narcisse Guérin depuis octobre 1815, expose au Salon de 1822 Dante et Virgile aux Enfers. Comme la visualisation du passage de l'écrivain vers le Delacroix peintre, "le basculement du génie vers la peinture". 

Eugène "entrait" magistralement en peinture ce 3 septembre 1822.

Gilles Kraemer

 

Eugène Delacroix. Les Dangers de la cour suivi d'Alfred et de Victoria.

Textes établis par Servane Dargnies, sous la direction de Dominique de Font-Réaulx. Préface de Dominique de Font-Réaultx. Posface de Servane Dargnies sur la provenance des manuscrits, les hypothèses de datation, les lectures et pratiques littéraires de Delacroix, la naissance du jeune héros romantique. 222 pages, 16 illustrations (dont celles, fort judicieuse de quelques folios des trois manuscrits). Éditions Flammarion, Paris, 2018. Prix 17 €.

 

Manuscrit : Les Dangers de la cour. Paris, musée national Eugène Delacroix © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Adrien Didierjean.

 

Expositions de ce printemps parisiens 2018 consacrées au peintre

Delacroix. 1798-1863. Du 29 mars au 23 juillet 2018 - Musée du Louvre, Paris.

Une lutte moderne, de Delacroix à nos jours. Du 11 avril au 23 juillet 2018 - Musée Eugène Delacroix, Paris.

Tag(s) : #Livres, #Expositions Paris
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